L’Alsace que nous voulons, la France dont nous avons besoin ! de Pierre Klein
Ce texte de Pierre Klein nous a été envoyé par Fabienne Regard pour servir de base d’échanges lors de la semaine de Bréau. Voici ce qu’elle en dit : "Je propose ce texte écrit par Pierre Klein après les événements du 11 janvier 2015 comme base d’une réflexion sur notre société française (à partir de la question alsacienne). Toutes les thématiques évoquées sont celles dont nous avons discuté les 15 dernières années à Bréau (identité culturelle, enseignement des langues, écoles bilingues, enseignement de l’histoire, jacobinisme, diversité et richesses …) "
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L’Alsace que nous voulons, la France dont nous avons besoin ! de Pierre Klein
Les lignes ont bougé en Alsace depuis le printemps. Que le Conseil constitutionnel déclare conforme ou non la loi portant réforme sur le nombre de régions, qu’une nouvelle région plus grande soit finalement constituée ou que le Conseil Régional d’Alsace soit maintenu, rien ne sera plus comme avant. Un débat qui au départ ne « devait » pas être identitaire l’est devenu au fil des mois. Une certaine conception de l’identité française est désormais fortement remise en question, à savoir celle des tenants d’un républicanisme jacobin qui confond État et nation, nationalité et citoyenneté, culture politique et culture française, égalité et indifférenciation, celle des partisans d’une identité française imposée, immuable et uniforme. Ce qu’ils nous présentent de la France relève bien moins d’une « francitude », ouverte et diverse, fondée sur une culture plurielle, - ce qui ne signifie pas multiculture ou mosaïque -, que d’une francité repliée et fermée, définie principalement par l’unicité de sa langue, de son histoire et de sa culture, c’est-à-dire comme un « national-communautarisme ». Autrement dit, ils nous présentent une nation bien plus définie comme un une ethnie, que comme une association de citoyens. C’est du moins l’expérience de la nation française que font celles et ceux qui voient leur langue dite régionale non reconnue, non promue. D’autres aussi. Or, la France, ce n’est pas cela. La nation française ne saurait reposer que sur des données objectives. La France, c’est d’abord celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, moment oh combien fondateur de la nation française. La France, c’est d’abord le pacte civil et social. L’identité française est d’abord subjective en se fondant sur le sentiment d’appartenance et sur la volonté d’agir ensemble. Elle est d’abord union dans la diversité inscrite dans le post-nationalisme et le patriotisme constitutionnel. Mais on en est loin. Et le problème de l’Alsace n’est pas en premier lieu un problème alsacien, il reste un problème français. Rien ne sera plus comme avant disais-je. Mais « l’après » reste à construire. Il s’agit de ne pas tomber dans les travers du nationalisme et d’opposer un nationalisme alsacien à autre nationalisme jacobin[1]. Il s’agit de canaliser les différentes tendances qui se manifestent aujourd’hui, celles qui s’inscrivent dans les valeurs démocratiques. Il s’agit d’engager une large réflexion citoyenne sur l’Alsace de demain, notamment en ouvrant (enfin) grand les médias publics aux débats. La belle au bois dormant, celle qui se laissait bercer par les bonimenteurs du républicanisme jacobin (ce qui est un pléonasme), celle qui était manipulée par la main invisible des « uniformiseurs », s’est réveillée. Durant sa torpeur, on s’en est pris à l’une de ses langues, la langue allemande qu’il s’agisse du standard ou des dialectes.[2]. Que reste-t-il de la germanophonie alsacienne ? Elle est en lambeaux[3]. Durant sa léthargie, on s’en est pris à son histoire et à sa culture qui jamais n’ont été véritablement enseignées ni portées par les médias, sinon celles conformes à la « mémoire imposée »[4]. Durant son indolence, on lui a fait faire échec au référendum du 7 avril sur le Conseil (unique) d’Alsace. Jamais durant le débat qui a précédé ce dernier les véritables enjeux n’ont été abordés[5]. De quelle Alsace a-t-on alors parlé aux Alsaciens ? Leur a-t-on seulement parlé d’Alsace ? L’identité ne devait pas être abordée ou si peu ! Ajouté à cela le désenchantement du monde politique, le compte y était. Que la grande région se fasse ou non, l’Alsace devra plus que jamais faire entendre sa voix et cette voix devra être portée d’une part par les politiques et d’autre part par les citoyens. Par les politiques, c’est-à-dire par ceux chargés par le corps électoral alsacien de défendre le bien commun français et les intérêts propres alsaciens. Auxquels partis les Alsaciennes et les Alsaciens feront-ils confiance à l’avenir ? Il semble qu’une place plus grande se dégage pour des partis prenant véritablement en compte le fait alsacien et aussi pour un parti proprement alsacien. Encore devront-ils ne pas tomber dans les travers, opérer la canalisation et s’inscrire dans la réflexion évoqués ci-dessus, s’ils veulent être entendus et suivis.[6] Par les citoyens d’Alsace qui devront plus que jamais faire entendre leur voix et cette voix devra être portée par des initiatives citoyennes revendiquant et mettant en œuvre la démocratie participative et délibérative. La politique ne doit surtout pas être l’affaire des seuls politiques. Il n’y a de démocratie qui vaille que dans l’implication des citoyens. L’Alsace est à s’approprier et à s’y attacher, à partager et à vouloir, à construire toujours. La France aussi. Une philosophie politique et une attitude citoyenne nouvelles, une stratégie identitaire aussi[7], doivent intervenir. Aux Alsaciennes et aux Alsaciens de s’engager pour les réformes à venir et à obtenir. L’Alsace est bien placée pour appeler la France à une nouvelle gouvernance, à une régénération de la République fondée sur l’acceptation de la pluralité et de la multipolarité[8], et à l’émergence d’une identité française ouverte et plurielle, non pour elle-même, mais pour la démocratie, par impératif catégorique. Aux Alsaciennes et aux Alsaciens d’appeler les Françaises et les Français, et en premier lieu leur classe politique, à intégrer l’idée que l’union s’enrichit de la diversité et à s’inscrire dans une démarche de rénovation d’un système né de la centralisation monarchique et du raidissement révolutionnaire, afin de l’adapter aux dynamiques politiques et sociales contemporaines. Nous le savons bien, la France ne pourra pas faire l’économie d’un aggiornamento, d’une remise en question de son modèle républicain, d’une mise à jour d’un certain nombre de concepts et qu’elle devra s’imposer d’importantes révisions, s’agissant notamment de la conception de la nation et de l’Etat et de leurs rapports. En premier lieu, il s’agit de rompre avec la conception par trop ethnocentrée de la nation, d’en finir avec l’idée qui veut que ce soit le jacobinisme qui crée la nation et de (re)positiver la nation politique et juridique, la nation subjective. Il s’agit de passer de l’union dans l’uniformité à l’union dans la diversité en ouvrant la nation (culturelle) et la citoyenneté à la pluralité. Il s’agit de passer du déni linguistique et culturel à la prise en compte par l’Etat des identités culturelles, qui sont des identités de France. Le principe de l’union dans la diversité n’a été qu’insuffisamment installé dans l’habitus français. Celui-ci ne peut se réaliser qu’à la faveur d’un recentrage politique sur l’essentiel à savoir la primauté des principes universels de droit, de justice, de liberté et de solidarité, c’est-à-dire sur la loi fondamentale, qui constitue pour les citoyens un véritable capital social et un incontournable socle commun. Lorsque l’attachement à la loi fondamentale et l’allégeance à l’État de droit sont placés au-dessus de toute autre considération, il devient possible de libérer la culture majoritaire ou dominante de sa propension à vouloir se substituer au pacte civil et social et à installer partout la « mêmeté » (dans le temps) et la « pareilleté » (pour tous). Il est alors envisageable de reconnaître les appartenances multiples et, en partant de là, l’individu dans toutes ses dimensions. Cela implique non de se soustraire aux principes universels, mais au contraire de considérer que ceux-ci ne prennent véritablement leur sens que si les appartenances multiples ne font pas l’objet de discriminations. Si pour nous Alsaciens, il s’agit de défendre et de promouvoir une identité alsacienne ouverte et plurielle, il s’agit pour l’ensemble des Français de défendre et promouvoir une identité française une et diverse. L’un ne va pas sans l’autre. Mut ist verlangt ! PK (www.pierre-klein.eu)
[1] Car le jacobinisme en est un ! 2 « Une langue que l’on n’enseigne pas est une langue qu’on tue. Tuer une langue est un crime » (J. Julian) ». 3 Et la question de la ratification par la France de la charte européenne des langues régionales et minoritaires après un feu de paille au début de 2014 est retournée dans un tiroir. 4 Le devoir de mémoire implique la diversité des mémoires. 5 On s’en est largement tenu à l’économie, aux économies. 6 Pour ce faire la raison devra l’emporter sur le sentiment et sur le ressentiment, et un discours renouvelé s’impose. Nous ne sommes plus dans les années vingt et trente. Il s’agit de s’adresser aux Alsaciens d’aujourd’hui avec des mots d’aujourd’hui et de tenir compte des scories de l’histoire. 7 Les identités collectives n’existent pas en soi. Ce sont des constructions. Elles sont construites par la socialisation mise en œuvre les collectivités en fonction d’une stratégie identitaire. 8 En particulier la division horizontale et verticale des pouvoirs et le principe de subsidiarité.