Frédéric Mistral et I.L.Peretz, une rencontre mémorable

par Doris Engel
dimanche 8 avril 2012
par Lilian Brower Gomes
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A première vue, tout sépare Peretz et Mistral :

- Peretz au Nord, Mistral au Sud

- Peretz dans la ville, sans aucun contact avec la nature, Mistral dans la campagne, avec les petits paysans.

- Peretz juif, Mistral catholique

- Mistral imprégné des oeuvres grecques et latines, Peretz lit la Bible, le Talmud, la littérature allemande.

- Mistral poète, Peretz une oeuvre très diverse : poésie, récits, théâtre.

Au-delà de ces différences

Au délà ds différences, on peut cependant rapprocher ces deux écrivains par leurs points communs : D’abord et avant tout, ils choisissent d’écrire dans une langue minoritaire, une langue méprisée, dédaignée, traitée de « jargon » ou de patois », à laquelle ils veulent donner (ou rendre) sa noblesse, dont ils veulent faire une vraie langue littéraire : le yiddish pour Peretz, l’occitan pour Mistral. Tous deux sont des hommes cultivés, possédant à la perfection d’autres langues : l’hébreu, le polonais et le russe pour Peretz (qui écrit également dans ces langues), le latin, le grec, le français pour Mistral (c’est lui-même qui traduit en français « Mireille »).

Des fédérateurs et des mentors

Peretz et Mistral sont tous deux des fédérateurs, des mentors. Ils ne se contentent pas de créer, d’écrire en solitaire, ils rassemblent autour d’eux d’autres écrivains, ils créent des mouvements littéraires, puis, l’âge venant, ils deviennent des modèles, des référents pour les jeunes écrivains qui viennent les rencontrer et leur présenter leurs écrits, ils les encouragent, les aident à publier....

Très jeune encore, Mistral fonde le mouvement des « Félibres », qui va être moteur dans l’écriture et la publication de textes en occitan. Il va rassembles autour de lui tous les écrivains occitans, qui le reconnaissent comme leur maître. Revue « L’aïoli ».

Peretz, une fois installé définitivement à Varsovie, fonde une revue où sont publiés tous les écrivains yiddish (di yidishe bibliotek, puis di yontefbleter). Lorsqu’un jeune écrivain arrive de son shtetl à la grande ville (Varsovie), sa première visite est pour Peretz, il est sûr d’être bien accueilli, puis soutenu pour être publié. Cette rencontre figure ainsi dans les mémoires de Reyzen, Hirshbein, Opatoshu, Boreysho, Trunk, der Nister, Kaganovski, Yeoash, Sokolov....

L’amour pour les petites gens

Autre point commun : leur intérêt, leur amour pour le peuple, les petites gens, les humbles, les pauvres, les exploités, les opprimés, qui gardent leur foi, leurs coutumes et leur langue.

Cet intérêt pour « les petits, les obscurs, les sans-grade » s’exprime sur plusieurs plans :

la langue : le yiddish et l’occitan sont des langues populaires, elles sont parlées par les petites gens, avec des expressions savoureuses et des tournures inventives. Les bourgeois, les intellectuels essaient d’oublier cette langue, la méprisent. Mais pour Mistral ou Peretz, si on met en scène le peuple, il faut lui faire parler sa langue, sinon c’est le trahir.

la religion : Peretz et Mistral sont tous deux élevés dans un monde religieux, le judaïsme pour Peretz, le catholicisme pour Mistral, un monde où où les célébrations rythment les jours. Tous deux s’éloignent ensuite de la foi et des pratiques, mais gardent une grande sympathie pour la foi simple et émouvante du peuple. Peretz décrit le monde hassidique, Mistral s’intéresse aux saints patrons occitans, en particulier les Saintes Maries de la mer. les coutumes, les chansons, les légendes.

De façon plus générale, l’ethnologie de proximité naît à la fin du 19e siècle. On s’intéresse au mode de vie du peuple sous toutes ses formes (coutumes, art, broderies, chansons, histoires, superstitions, sorcellerie...), peut-être parce qu’il est en train de disparaître avec la modernisation de la société européenne. On monte des équipes de recherche qui vont « collecter » objets et coutumes, en suivant l’exemple des frères Grimm, qui vont rassembler les légendes germaniques. Peretz participe également en 1890 à une enquête dans les villages juifs, à la base dans un but économique. Il va s’en inspirer pour écrire les « Tableaux d’un voyage en province » où il décrit la vie des shtetl avec le pressentiment de leur disparition prochaine (ce n’est pas la modernité qui les détruira, mais la Shoah). C’est Anski qui, en 1910, mènera des recherches à grande échelle et écrira « Le Dibbouk ». Mistral décrit les repas des paysans, les veillées, les chansons, les pratiques de sorcellerie....

Leur position en face des idéologies est très proche : c’est une position à la fois clairvoyante et prudente, qui sera souvent mal comprise. Ils ont une position dialectique, voient les avantages et les inconvénients des différentes théories et idéologies, essaient de trouver un « juste milieu », ce qui les isole, parce qu’il est plus facile d’adhérer à une idéologie univoque.

1) Par rapport aux idéologies révolutionnaires, socialistes : Peretz a une forte sympathie pour les révolutionnaires, ce qui lui vaut de faire de la prison. Cependant, il se mettra en retrait et dans son texte « Hofenung un shrek » (espoir et crainte), il annonce de façon prémonitoire les risques d’appliquer de façon aveugle les principes généreux de la révolution. Mistral se mettra lui aussi en retrait des idéologies de révolution et il va se consacrer à un dictionnaire occitan-français.

2) Par rapport aux idéologies de séparation : Pour Mistral, c’est un problème politique : on accuse les occitans de vouloir se séparer de la France. Mistral défendra ses positions avec courage : rester au sein de l’Etat français, sans renier son terroir, ses origines, sa langue. Il faut savoir que l’Allemagne s’intéresse beaucoup à ce mouvement occitan, puisqu’elle espère toujours un fédéralisme, voire un séparatisme français. Le plus ardent défenseur de la candidature de Mistral pour le prix Nobel, qu’il obtient en 1904, est le professeur Eduard Koschwitz, professeur de langue et littérature romanes à Marburg Allemand, grand linguiste, qui va faire la meilleure édition de « Mireille », et éditera une « Grammaire de la langue des Félibres » ; ses motivations ne sont pas purement linguistiques. Mais Mistral clamera toujours son attachement indéfectible à la France. Pour Peretz, c’est un problème littéraire : créer une littérature yiddish qui s’insère et se nourrit de la grande littérature mondiale, mais sans renier l’héritage juif, les coutumes, les grands textes (Bible, Talmud) et la langue. Il écrira en particulier sue le monde hassidique (Khsidish). Tous deux vont essayer de trouver des solutions dans une oeuvre-monde : Peretz dans « La Nuit » reprend des sources littéraires (Shakespeare et Goethe) mais les judaïse, Mistral écrit une épopée moderne et modeste, prenant explicitement pour modèle Homère, mais qui présente des héros simples et ancrés dans le monde occitan.

Des oeuvres qui n’ont pas eu la diffusion qu’elles méritent

Enfin, on peut constater avec une certaine tristesse que ces œuvres n’ont pas eu la diffusion qu’elles méritent :

Mistral a été encensé à la publication de « Mireille », il a eu le prix Nobel de littérature, il a été à l’origine d’un fort mouvement littéraire, mais aujourd’hui, même s’il y a d’excellents auteurs occitans, leur public reste limité, de même que le nombre de locuteurs de l’occitan .

Peretz, comme tous les auteurs yiddish, a été victime de la disparition de ses lecteurs par la Shoah. Actuellement, ceux qui ont le yiddish pour langue maternelle sont des Juifs très religieux qui ne lisent pas Peretz. Le nombre de ceux qui y ont accès est limité, et c’est un auteur difficile à traduire. Seul I.B. Singer, qui a lui même traduit ses textes du yiddish à l’anglais a pu diffuser largement ses textes et a obtenu le prix Nobel.


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